Balzac et l�homme social

S�minaire Balzac 2007-2008

Responsables : Jos�-Luis Diaz, Claude Duchet, Roland Le Huenen

 

Samedi 11 octobre 2008, 14 h 

Jos�-Luis Diaz, Claude Duchet, Roland Le Huenen, Introduction

Samedi 13 d�cembre 2008, 14 h

Agathe Lechevalier (Montpellier), � Sociotope th��tral et m�taphore du th��tre du monde �

Samedi 7 f�vrier 2009, 14 h 

Elisheva Rosen (Tel Aviv), � Droit et sociologie de la vie quotidienne � (s�ance report�e en raison de la gr�ve

sans doute au 20 juin

Samedi 21 mars 2009, 14 h 

Marion Mas (Paris 7), Le p�re, un � homme social � ?

Samedi 16 mai 2009, 14 h 

Christ�le Couleau (Paris 13), � Le pantographe, ou la soci�t� � g�om�trie variable �

Autres propositions esquiss�es pour 2009-2010 : Roland Chollet, Aude Deruelle, Jacques Dubois, Owen Heathcote (� Le Bureau comme sociotope balzacien; du Colonel Chabert aux Employ�s �), Fran�oise Gaillard, Nathalie Heinich

 

Quelques r�sum�s :

Agathe Lechevalier

Ma communication partirait de la mani�re dont Balzac r�interpr�te la m�taphore s�culaire du th��tre du monde, outil qui para�t de prime abord bien anachronique, pour penser l�homme social de l��poque post-r�volutionnaire. Balzac r�v�le la plasticit� inattendue de la m�taphore en l�accordant avec les dynamiques nouvelles qui caract�risent la soci�t� moderne : de topos, le th��tre devient, dans le roman balzacien, chronotope, c�est-�-dire, d�une part, qu�il r�gle les rapports du roman � la r�alit� contemporaine que celui-ci figure et, d�autre part, qu�il signifie une certaine image de l�homme.

Il s�agirait donc de montrer � la fois :

  • comment le b�timent th��tral constitue un sociotope privil�gi� dans La Com�die humaine : il permet de figurer le social en exposant les normes de la soci�t� qui s�y donne en spectacle.

  • comment cette utilisation du sociotope th��tral justifie en aval l�utilisation de la m�taphore du th��tre du monde pour penser le fonctionnement social de fa�on in�dite. La m�taphore du th��tre du monde, autrefois utilis�e pour figurer un monde con�u sur un mod�le m�taphysique et unitaire, s�atomise : l�unit� de base que d�signe le th��tre ne peut plus �tre que celle de la sc�ne, c�est-�-dire celle de l�interaction. Balzac d�ploie ainsi, en contexte romanesque, les intuitions qui seront d�velopp�es plus tard sur le plan th�orique par Erwing Goffman. Les notions goffmaniennes de fa�ade, de coulisse, d��quipe de repr�sentation, de s�paration des publics, la th�orie des � d�tachements �, sont ainsi mises en �uvre de mani�re frappante et tr�s efficace dans La Com�die humaine o� elles permettent de conceptualiser et de d�chiffrer un monde social et des comportements sociaux donn�s par les contemporains comme illisibles.

Si vous le souhaitez, je pourrai essayer de montrer en quoi Balzac se situe ici dans la m�me perspective que Stendhal (en ce qui concerne l�utilisation de la m�taphore du th��tre du monde pour conceptualiser l�interaction) quoique leurs mani�res de penser le th��tre comme sociotope soient fondamentalement diff�rentes.

Marion Mas

Le pr�ambule du Trait� des excitants modernes annonce quatre ouvrages � de morale politique, d�observations scientifiques, de critique railleuse, tout ce qui concernait la vie sociale analys�e � fond 1�. Le premier, qui doit couronner les Etudes analytiques, est l�Analyse des corps enseignants, rest� � l��tat d��bauche. Balzac entend y traiter le probl�me de la � callip�die �, qu�il aborde sous l�angle m�dical, et qui concerne aussi bien le p�re que la m�re. Mais il projette �galement de s�attaquer s�rieusement � la question de l�acte de procr�ation d�une part, et aux probl�mes d��ducation d�autre part. Il note � cet �gard que � le p�re et la soci�t� sont les continuateurs de la m�re 2�, mettant sur un m�me plan le p�re et la soci�t� dans un aphorisme sibyllin. De plus, Balzac rappelle que l�h�ritage du XVIIIe si�cle en mati�re d��ducation a d�velopp� de nouvelles � sentimentalit�s � et que � [l]a Soci�t� a perdu tout ce que la Famille a gagn�.3 �. L��bauche se conclut sur l�affirmation que ces importantes questions ne concernent pas tant � l�enfant � que � le p�re et la m�re, la nation, les m�urs 4�. Le p�re est donc au c�ur de ces grandes questions. Le troisi�me ouvrage pr�vu, La Pathologie de la vie sociale, se donne pour objet d��tude � la manifestation de la pens�e prise sous toutes les formes que lui donnent l��tat social 5�. La vie sociale, d�apr�s le titre, est donc maladie et souffrance, qui sont avant tout d�ordre moral puisqu�elles tiennent aux formes particuli�res que leur donne la pens�e. La Pathologie de la vie sociale est encore une � Anthropologie compl�te �, soit, une science des m�urs, un trait� de sociologie.

Ces deux textes entretiennent des relations dans la mesure o� ils appartiennent virtuellement � l�ensemble � Etudes analytiques �. On peut alors faire l�hypoth�se que le p�re devient, au m�me titre que � l�homme �, objet particulier d�une science des m�urs, comme semble l�indiquer l�importance que lui conf�re le projet de l�Analyse des corps enseignants. Or, les figurations romanesques du p�re en font un personnage affect� de � pathologies sociales � : de la pens�e de la paternit� qui tue mise en place par les Etudes philosophiques � la � passion canine � et aux � d�viances � du sentiment paternel, perceptibles du P�re GoriotLa Cousine Bette. Le personnage du p�re serait bien alors un objet d��tude de la pathologie sociale.

Pour autant, le p�re n�est pas, en soi, une � esp�ce sociale �, ni un type. En t�moigne le recensement des p�res de La Com�die humaine que Balzac fait dans son Album o� il affirme que � l�auteur � a tent�, dans ses �uvres, de � saisir la paternit� dans tous les plis de son c�ur, de la peindre tout enti�re comme il essaie de repr�senter les sentiments humains, les crises sociales, tout le p�le-m�le de la civilisation. �. Mais le sort romanesque fait au personnage du p�re ne tend-il pas � indiquer que celui-ci est bien un �tre social, qu�il y aurait un � p�re du XIXe si�cle � singulier, qui serait, en somme, le produit d�un dispositif (au sens foucaldien du mot) ? Le personnage du p�re ne serait alors ni � proprement parler un type, ni un � �tre �ternel �, c�est pourquoi l�on a parl� � d�homme social �.

Pour �tudier cette hypoth�se, nous nous proposons de travailler � partir d�Eug�nie Grandet et du P�re Goriot (dont Maurice Bard�che dit qu�ils appartiennent tous deux au cycle des � romans de la paternit� �) : les deux personnages de p�res de ces romans, qui ont respectivement pour th��tre la province et Paris, sont deux monomanes qui adoptent des attitudes similaires � l��gard de leurs filles, et qui posent tous deux, pour le dire grossi�rement, le probl�me de l�articulation entre sentiment et autorit� dans deux espaces sociaux diff�rents et fortement caract�ris�s. Il s�agirait alors de partir de la notion de topos (le lieu du p�re : l�espace domestique, la maison, l�appartement, la chambre, le grenier) pour la distinguer de celle d�espace, espace imaginaire (l�autorit� dans le Code civil, l�autorit� traditionnellement attach�e au p�re dans son rapport � Dieu et au Roi, l�autorit� attach�e au masculin, la sentimentalit� attach�e au p�re de famille en particulier depuis le XVIIIe si�cle dans l�espace litt�raire d�aune part, et dans l�espace juridique de la R�volution d�autre part) et espace proprement � social � (la ville � l�enfer parisien / la province) afin d�examiner comment tous ces � lieux paternels � sont reli�s entre eux et de voir comment l�interaction lieux/espaces fa�onne un p�re du XIXe si�cle, joue comme v�ritable dispositif. Il faudra alors voir en quoi, sur quoi et comment le lieu et l�espace font jouer leurs d�terminations, comment ils se verrouillent, s�annulent ou implosent en le personnage du p�re et quelles en sont les cons�quences pour le personnage du p�re, et, par suite, pour la paternit�. Cela nous obligera �videmment � revenir sur les notions de � type � et d� � esp�ce sociale � telles qu�elles sont d�finies par Balzac.

Christ�le Couleau

J�ai pens� � quelque chose sur la vie sociale envisag�e sous l�aspect du cercle et des changements d��chelle. Il s�agirait de voir comment Balzac essaie de penser la soci�t� comme un ensemble d�unit�s de configuration (groupes, parcours, comportements) qui s�embo�tent ou se r�dupliquent dans diff�rentes dimensions. Changer de cercle, c�est changer de proportions, mais aussi s�exposer � une mont�e en gamme des codifications sociales � un peu comme dans les jeux de plateaux. C'est aussi, du point de vue du romancier, une mani�re de chercher � tous les niveaux des constantes, des r�gles, des types de rapports interpersonnels, - et montrer, entre autres, qu�il y a du drame � tous les �chelons de la soci�t�, que l�aventure individuelle a quelque chose � dire du destin collectif, et qu�une petite mis�re de la sph�re priv�e est aussi parlante � ce titre qu�un coup de th��tre dans les hautes sph�res sociales. Cela pourrait s�intituler : � Le pantographe, ou la soci�t� � g�om�trie variable �.

1 XII, p.303

2 ACE, XII p.842

3 TEM, XII, 304.

4 ibid. p. 844.

5 Ibid.