Le Voyage en Orient de Chateaubriand, Textes rassembl�s et pr�sent�s par Jean-Claude Berchet, Houilles, Manucius, 2006, 347 p.
Le programme des agr�gations de Lettres 2007 a mis � l�honneur l�Itin�raire de Paris � J�rusalem (1811) de Chateaubriand, � l�occasion du bicentenaire du voyage en Orient que l�auteur effectua de juillet 1806 � juin 1807. Parmi les manifestations scientifiques suscit�es par l��v�nement, il faut signaler tout particuli�rement deux journ�es de colloque (19-20 octobre 2006) organis�es par la Soci�t� Chateaubriand � l��cole Normale Sup�rieure d�Ulm, dont les actes � Le Voyage en Orient de Chateaubriand � ont paru un mois plus tard sous la direction de Jean-Claude Berchet, � qui l�on doit d�j� la nouvelle �dition de r�f�rence (Gallimard, � Folio classique �, 2005). Ce colloque international a rassembl� une quinzaine de contributeurs d�horizons divers, universitaires, chercheurs CNRS, membres de l�EHESS ou diplomates, et a permis de mettre en lumi�re les multiples facettes de l��criture viatique chateaubriandienne les communications se trouvent regroup�es en six sections, dans le souci d�aborder le r�cit pour lui-m�me, dans son ensemble et sa complexit�. La pr�sentation de Jean-Claude Berchet, � Un Itin�raire � la crois�e des chemins �, rappelle que la tradition g�n�rique de la litt�rature de voyage est encore assez ind�termin�e � l��poque, ce qui autorise un espace de libert� m�lant r�cit et tableau, en somme une � formation de compromis �. Elle souligne le caract�re in�dit d�un tel itin�raire, qui �volue vers une individuation du voyageur et de sa sp�cificit� m�morielle, et constitue un v�ritable pasticcio po�tique en m�me temps qu�un plaidoyer pour la libert� politique. � Un Orient compliqu� � aborde � l�or�e du recueil la question diplomatique � � La politique de la France imp�riale en Orient �, par Jacques-Alain de S�douy qui �voque la figure de l�ambassadeur S�bastiani � et id�ologique. Le fait est que Chateaubriand retient surtout l�id�e d�un � choc � entre chr�tient� civilis�e et monde musulman � barbare �, dans la grande tradition des croisades : il perp�tue et radicalise de la sorte des pr�jug�s peu reluisants � nos yeux de modernes. Concernant la � question grecque �, Jean-Paul Cl�ment note que pour le voyageur encore peu philhell�ne (avant la Note sur la Gr�ce de 1825), le mythe et le � charme des souvenirs � sont sup�rieurs � la r�alit� historique : la Gr�ce contemporaine est largement d�valoris�e (et sous-estim�e, alors qu��merge un nationalisme), pr�sent�e comme un pays d�amn�siques avilis indignes de leurs brillants anc�tres, cependant que les deux p�les symboliques d�Ath�nes et de Sparte continuent de structurer l�espace imaginaire du r�cit. Toujours en un sch�ma binaire, Chateaubriand fustige le despotisme ottoman de mani�re caricaturale, fait observer Gilles Veinstein (� Chateaubriand et les Turcs �) qui r�tablit la distinction entre �laboration id�ologico-litt�raire et v�rit� historique. Dans la partie � Gen�se et r�ception �, Alain Guyot livre � Un point de vue stylistique sur la gen�se du r�cit � � travers les notions de tension dramatique, d�unit� tonale et d�autobiographie. L�Itin�raire de Paris � J�rusalem se trouve replac� dans la perspective d�une (r)�criture toujours en �volution, de l�avant-texte que repr�sente le Journal de J�rusalem aux M�moires d'outre-tombe, en passant par Les Martyrs de 1809. � Les r�actions de la presse � sont ensuite pass�es en revue par Guy Berger et Bernard Degout : les deux articles de Chateaubriand dans le Mercure de France, esquisses de l�Itin�raire, ont un fort retentissement d�s 1807, puis le r�cit de 1811 est lou� � la fois pour son aspect politique et litt�raire, la fid�lit� et l�imagination dont il t�moigne. Bernard Degout �voque enfin la filiation � Du voyage en Orient aux M�moires de ma vie �, �bauche des M�moires d'outre-tombe dans l��laboration d�une �criture-monument. La section � La Biblioth�que et la m�moire � permet de mesurer � quel point le poids des lectures se substitue bien souvent aux � choses vues � dans l�esprit de l�auteur, qui convoque de multiples intertextes anciens ou modernes tout au long de son p�riple et voyage autant dans l�espace que dans le temps et le patrimoine culturel occidental. Philippe Antoine (� Un compagnon de voyage : le Jeune Anacharsis �) �tudie ainsi l�impact diffus du Voyage du jeune Anacharsis en Gr�ce (1788) de l�abb� Barth�lemy, qui m�le d�j� Histoire, Po�sie et Fable et laisse affleurer une lecture du pr�sent. Les ambitions � antiquaires � du voyageur sont �voqu�es par Elisa Gregori (� Un Pausanias � la main : Chateaubriand arch�ologue �) : Chateaubriand, sur le mode amateur, se montre fascin� par les vestiges du pass� monumental, les questions de conservation et de comm�moration, mais son arch�ologie est davantage celle de la m�moire et des livres. De m�me, il � textualise � le paysage notamment gr�ce � Hom�re ou Pausanias la description se nourrit du liant de la citation qui acquiert un r�le constructeur. Marika Piva souhaite d�ployer ce travail de la citation � directe, indirecte voire invisible : les auctoritates permettent � Chateaubriand de composer une v�ritable marqueterie polyphonique et polyglotte (sans n�gliger de recourir parfois � l�autotextualit� !). En somme, l�Itin�raire de Paris � J�rusalem devient un voyage dans la biblioth�que de l�� honn�te homme � par une anamn�se historique et culturelle, une � sorcellerie �vocatoire � fond�e en grande partie sur une � po�tique du nom � illustre, que Philippe Berthier interpr�te comme un v�ritable rite r�surrectionnel destin� � pallier la d�fection du r�el. � Genres et significations � s�int�resse � la plurig�n�ricit� de l�Itin�raire, qui entrelace exp�rience collective, codes litt�raires et mythologie personnelle. Avec � Un pieux voyageur �, Patrizio Tucci retrace la tradition des relations du p�lerinage en Terre Sainte depuis le Moyen �ge, dans laquelle s�inscrit explicitement Chateaubriand qui r�affirme dans le texte son statut de grand �crivain catholique et son identit� de noble Franc. La nostalgie de la spiritualit� et de l��thique de la chevalerie inspire un sch�ma narratif directement h�rit� du mod�le �pique, comme l�analyse Jean-Marie Roulin (� La r�f�rence �pique �) : l�Itin�raire permet, par un d�placement de la perspective d��nonciation, de repenser l��pop�e des Martyrs vou�e � l��chec, de reformuler le lien entre po�sie et Histoire dans le contexte de la France r�volutionn�e le voyageur en qu�te de gloire marche sur les traces de ses anc�tres en une g�ographie symbolique et po�tique, dernier t�moin d�une lign�e h�ro�que mais �galement contraint � un toujours �nigmatique � adieu aux Muses � final. Cela n�emp�che nullement le comique d�interf�rer � diff�rents niveaux : Fabio Vasarri, dans � Du portrait comique � la statue du Rire �, aborde un aspect g�n�ralement peu connu de l��criture de Chateaubriand et rel�ve des formes de satire ou de persiflage allant jusqu�� la dimension m�taphysique du rire l�homo viator sait affronter la d�sillusion et le nihilisme en ses p�r�grinations. La section � Rencontres avec le sensible � est l�occasion de rappeler que le parti pris classique de l�auteur autorise malgr� tout des incursions en � style bas � et une attention aux d�tails possiblement dissonants du quotidien : Jacques Dupont (� Les chemins de traverse ou le monde et ses surprises �) s�int�resse aux � provocations � de la sensation subjective contingente comme autant d��carts et de p�rip�ties dans un fil narratif d�j� chaotique, et Jean-Claude Bonnet d�crit � Le voyageur � table �, � h�tellerie errante � euphorique et parfois symbolique aux accents picaresques. � S�miologie des identit�s � aborde enfin l�identit� du sujet � reconstruire dans une dialectique avec le monde, une anthropologie de la diff�rence. Jean-Marie Roulin dessine un itin�raire initiatique par lequel le voyageur d�finit une patrie symbolique, � troubadour �, celle de Saint-Louis (� La Patrie : l�exil�, le grand homme et le chevalier �). Arnaud Bernadet �tudie dans � L�Orient de la langue � le rapport entre langues � anciennes comme modernes � et alt�rit� : l�Orient ressortit � une s�miotique, entre Babel et l�utopie du grec. Comme le d�montre enfin Sarga Moussa (� Les cat�gories de la diff�rence �), Chateaubriand cultive une certaine x�nophobie � r�utilisant en partie le discours de l�Europe des Lumi�res � qui ne va pas sans fascination : le voyage devient une rencontre des � monstres �, et une forme d�� alt�ration � de soi. Dans un parcours ritualis� � l�extr�me et balis� par des signes textuels forts, sans cesser de faire avec beaucoup d��rudition � un voyage avec des voyages �, Chateaubriand affirme dans son Itin�raire de Paris � J�rusalem un d�sir d�originalit� auctoriale qui lui conf�re une position d��uvre charni�re du genre viatique. Entre mosa�que et palimpseste, m�ditation sur l�Histoire et sur le pouvoir de l��criture, ce texte composite aura �t� au fil des pages abord� sous divers angles compl�mentaires (politique, id�ologique, s�miologique, anthropologique� mais assez peu esth�tique), genres et registres concurrents � sublime, trivial, parfois parodique. Th��tre de la m�moire et de la culture autant qu�exp�rience r�elle de voyage en terre r�sonante, l�Itin�raire ne cesse de faire retour sur lui-m�me dans l�optique d�un ressourcement en profondeur de la litt�rature � le titre exact du r�cit n�est-il pas Itin�raire de Paris � J�rusalem et de J�rusalem � Paris ?
�lodie Saliceto (Universit� de Saint-�tienne, UMR LIRE) |