Bernard Le Drezen, Victor Hugo ou l��loquence souveraine. Pratiques et th�orie de la parole publique chez Victor Hugo, L�Harmattan, 2005, 271 p. Pr�face de Robert Badinter. L�ambition de cet ouvrage � � l�origine, un m�moire de DEA pr�par� sous la direction de Fran�oise M�lonio � est de combler une lacune des �tudes hugoliennes. En raison d�une tradition critique qui m�prise les textes circonstanciels et d�une d�consid�ration de l�activit� politique de Victor Hugo, aucune publication d�importance ne s�est int�ress�e � ses discours parlementaires. Pourtant, avec des dizaines de discours prononc�s dans plusieurs assembl�es, la mati�re est riche�voire trop riche, ce qui oblige Bernard le Drezen � limiter son �tude aux textes contenus dans Actes et paroles I (1841-1851), qu�il aborde � partir de quelques ambitieuses intentions de d�part, comme celle d��clairer les multiples mod�les de l��loquence hugolienne, et de comprendre l�articulation du politique et du litt�raire chez Victor Hugo. La premi�re partie, essentiellement m�thodologique, est consacr�e aux relations entre litt�rature et politique au XIXe si�cle, puis rappelle les probl�mes de m�thode que pose l��tude des discours politiques (hugoliens et autres) avant d�exposer les outils d�analyse (rh�toriques essentiellement, mais non exclusivement) choisies par Bernard Le Drezen. La seconde partie retrace avec pr�cision les r�f�rences multiples qui nourrissent la conception hugolienne de la parole publique. Sont abord�es la solide formation rh�torique de Victor Hugo, sa connaissance approfondie des auteurs de l�antiquit�, et le mod�le de Mirabeau qui, pour les romantiques, � invente l��loquence moderne tout en retrouvant la fonction civique traditionnelle de l�orator � (p. 57). La pr�dication sacr�e n�est pas n�glig�e, si bien que l�on d�couvre avec beaucoup d�int�r�t un Victor Hugo � p�tri de latinit�, de christianisme et d�humanisme � (contre l�image trop simple du romantique affirmant faire la � guerre � la rh�torique �) ainsi que les bases d�une � m�taphysique du verbe hugolien � (p. 71-72). Une troisi�me partie aborde plusieurs aspects de la pratique oratoire et parlementaire de Victor Hugo : son �volution politique (rapidement esquiss�e), sa conception de la repr�sentation, son rapport � dieu et au Peuple, avec quelques remarques tr�s justes associant �loquence hugolienne et p�dagogie r�publicaine. Moins convaincantes sont les pages que Bernard le Drezen consacre � la lecture des discours sous l�angle des passions aristot�liciennes, aboutissant � la double id�e (contradictoire) d�un primat du c�ur chez Hugo et d�une m�fiance � l��gard des passions � et l�auteur de citer, pour preuve de cette derni�re affirmation, une phrase du discours sur les ateliers nationaux : � Je ne monte pas � cette tribune pour ajouter de la passion aux d�bats qui vous agitent, ni de l�amertume aux contestations qui vous divisent �. Phrase qui demanderait, pour d�voiler sa v�ritable signification, d��tre replac�e dans le contexte pr�-insurectionnel de juin 1848, et d��tre compar�e � tous les discours d�autres orateurs qui, alors, appellent � la pacification d�s l�exorde� L�ouvrage s�ach�ve par l��tude du discours prononc� dans la discussion d�octobre 1849 sur l�attribution de cr�dits suppl�mentaires pour l�exp�dition fran�aise � Rome. Ce choix est pertinent, car ce d�bat est une �tape d�cisive dans l��volution politique de Victor Hugo comme dans l�histoire de la Seconde R�publique. Bernard le Drezen analyse ce discours en le mettant en relation avec d�autres interventions importantes, celles de Tocqueville, de Mathieu de la Dr�me et de Montalembert. Cette derni�re partie rompt avec la dominante th�orique de l�ensemble, et Robert Badinter, dans sa pr�face, rend justement hommage � ce chapitre qui fait vivre une s�ance � l�Assembl�e. Le discours est lu de pr�s, et la comparaison avec d�autres discours (par ailleurs donn�s en annexes) est bien venue. Le livre de Bernard Le Drezen constitue une bonne introduction � l��tude des discours hugoliens. Introduction, non en raison de la qualit� de l�ouvrage (riche de r�f�rences sur l��loquence, voire �rudit en maints endroits), mais en raison de quelques partis-pris qui limitent un peu la port�e de l��tude. Par exemple, des aspects aussi essentiels que le travail de Hugo sont trop vite �cart�s. � La question de savoir si tel ou tel discours a �t� �crit � l�avance ou improvis� est peu importante, lit-on page 36, puisque ce principe du statut � interm�diaire � entre l��crit et le dit s�applique � tout type de discours. � Une telle affirmation met de c�t� l�une des particularit�s les plus signifiantes de l��loquence hugolienne, et l�une des clefs de compr�hension de la r�ception de ces discours� Ce traitement un peu rapide de questions fondamentales montre que l�objet du livre de Bernard Le Drezen n�est peut-�tre pas tant le discours hugolien que l��loquence de la premi�re moiti� du XIXe si�cle. Et l� r�side sans doute l��cueil de cette �tude : l�int�r�t port� � la tradition oratoire et aux approches rh�toriques occulte parfois les sp�cificit�s des discours de Hugo. La r�alit� politique, les intentions de l�orateur Hugo, ses positions dans tel ou tel d�bat sont parfois rel�gu�es au second plan par l�approche rh�torique, pas toujours suffisante � rendre compte d�une �loquence qui, justement, y �chappe. Par exemple, l�attention port�e � � l�usage des passions � am�ne l�auteur � caract�riser la parole hugolienne comme une � �loquence du c�ur �, et � rejoindre par l�, m�me involontairement, un motif r�current de la critique hugolienne qui lui d�niait l�esprit. De m�me, voir dans la violence oratoire de Hugo la volont� de � purger les passions n�fastes � (p. 89) r�duit la port�e subversive de ses discours sous la seconde r�publique et occulte la dimension politique des textes� D�autres remarques surprennent sous la plume d�un esprit pr�cis comme celui de Bernard Le Drezen, comme l�affirmation que � la plupart [des] discours [de Hugo] ont �t� des �checs �. Une question aussi fondamentale aurait n�cessit� une �tude plus approfondie des circonstances des discours, des intentions de l�orateur, et des effets de sa parole, non seulement sur les d�cisions de l�Assembl�e (qui ne pouvaient �tre, en 1849, que celles de l��crasante majorit� conservatrice), mais aussi dans l�opinion publique et la pens�e r�publicaine au XIXe si�cle� En d�pit d�un certain nombre de remarques discutables, Bernard Le Drezen aborde l��loquence hugolienne sous des angles vari�s et int�ressants. Hugo fut-il un orateur comme les autres ? Un orateur m�diocre ? Le livre a le m�rite de poser ces questions. Et d�y r�pondre avec malice, en finissant l��tude par de superbes pages consacr�es �� Montalembert, � l�orateur total � (p. 136). En d�finitive, Bernard Le Drezen choisit clairement son camp, quitte � simplifier un peu le � principe directeur � de l�action publique de Victor Hugo : � Il faut pr�ter attention � l�opinion publique, car la nation est g�n�reuse et ne se trompe pas. � Et il commente : � Les d�tracteurs de Hugo ne manquent pas de remarquer ce qu�une telle position a de d�magogique. C�est ce qui fait la noblesse mais aussi la fragilit� de l�h�ro�sme hugolien. � (p. 148) En somme, l�ouvrage de Bernard Le Drezen ne comble pas tout � fait la lacune des �tudes critiques sur l��loquence hugolienne, mais propose une riche approche du discours parlementaire dans la premi�re moiti� du XIXe si�cle. Et sa qualit� d��criture nous fait attendre avec impatience la th�se qui devrait suivre (sur l��loquence des r�publicains de la Seconde R�publique), et, pourquoi pas, un ouvrage futur sur Montalembert, cet � orateur total � dont � le proc�s m�riterait sur bien des points d��tre rouvert � (p. 155). Marieke Stein. |
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