Emmanu�le Grandadam, Contes et nouvelles de Maupassant : pour une po�tique du recueil, Publications des Universit�s de Rouen et du Havre, 2007
Emmanu�le Grandadam analyse un aspect g�n�ralement peu ou imparfaitement pris en compte de l��uvre de Maupassant : la mise en recueils des contes et nouvelles. La premi�re partie de son travail consiste d�abord dans l�inventaire des diff�rentes �ditions de ces derniers, depuis le vivant de Maupassant jusqu�aux entreprises les plus r�centes. L�auteur a toujours eu le dernier mot dans la composition de ses ouvrages, mais, apr�s sa mort, des libert�s ont �t� prises d�s l��dition Ollendorff des �uvres compl�tes, �dition dont Emmanu�le Grandadam d�crit les �carts, pour ensuite passer en revue les d�mant�lements des �ditions ult�rieures ainsi que les tendances contemporaines, regroupements des nouvelles par th�mes, anthologies, approche chronologique (avec pour r�f�rence l��dition prestigieuse de La Pl�iade qui suit les dates de parution des nouvelles dans les journaux). L��tude se poursuit par la mise en �vidence d�une lacune : la critique universitaire contemporaine �voque peu le recueil en tant que tel. Quant aux pr�faces et commentaires des �ditions d�aujourd�hui, elles se focalisent sur la question de la coh�rence, de l�organisation et de l�unit� th�matique. Qu�il s�agisse de recueils � � titre exclusif � (volumes qui tirent leur nom de la premi�re nouvelle, soit douze sur les quinze) ou des trois recueils � omnibus � (dont le titre f�d�re tous les r�cits), les pr�faciers consid�rent pour la plupart les recueils, � l�exception de La Main gauche et des Contes de la b�casse, comme une juxtaposition de contes command�e par le hasard et l�urgence, parce qu�ils sont tributaires d�une lecture analytique de chaque texte bref et qu�ils reprennent sans cesse les m�mes arguments qui finissent par acqu�rir un statut de v�rit� : le silence de l�auteur sur ses intentions (� l�exception d�une phrase trop fr�quemment mise en avant : � je viens de vider mon sac de chroniques �), ou le mythe, accr�dit� par Maupassant lui-m�me, de l��crivain-marchand exclusivement guid� par des pr�occupations p�cuniaires. Se fondant cependant sur quelques contradictions de ces paratextes, l�analyse de deux recueils tr�s diff�rents, Yvette et Monsieur Parent, permet de r�fl�chir sur les discours des pr�faces : Yvette est le recueil de l�impuissance des h�ros, prisonniers des fatalit�s ext�rieure et int�rieure, trait�e dans un registre grave. Si les pr�faces de Louis Forestier et de G�rard Gengembre se rejoignent sur l�homog�n�it� du livre, cette derni�re ne para�t pas �tre l�effet d�un dessein concert�, tant l�id�e re�ue d�une absence de composition du recueil a la vie dure. En revanche il est vrai que Monsieur Parent est un recueil composite tout en contrastes. Mais loin d�y voir la preuve d�un manque de composition, Emmanu�le Grandadam montre qu�il faut substituer � un jugement fond� sur une conception classique une approche plus respectueuse de la sp�cificit� du recueil, sensible aux disparates, gr�ce � laquelle on peut appr�cier une vision baroque d�un monde ondoyant et multiple. Affinant encore l�analyse, elle met en �vidence des ph�nom�nes de microcomposition rep�rables d�un texte � l�autre : la nouvelle Solitude �claire des � textes satellites �, trois textes pr�sentent une image particuli�re de la prostitution, �L�Inconnue � et � La Confidence � se compl�tent en s�opposant. Ainsi l�h�t�rog�n�it� soulign�e par les pr�faciers n�est pas synonyme d�absence d�organisation. Ob�issant � une coh�rence d�ensemble ou fond� au contraire sur l�h�t�roclite, chaque recueil exige donc une approche sp�cifique. La premi�re partie de l��tude s�appuie pour finir sur les renseignements tir�s de la correspondance de Maupassant, d�o� il ressort que l��crivain choisissait tr�s consciemment les textes qu�il comptait rassembler, qu�il op�r�t un tri parmi les nouvelles � sa disposition, ou qu�il cr��t de nouveaux textes (pr�publi�s ou non) en pr�vision du recueil � venir. Revenant sur l�expression � un sac de nouvelles �, l�analyse des S�urs Rondoli d�montre qu�il s�agit plut�t d�une � besace �, soit d�un ensemble bipolaire o� s�affirme une vision du monde complexe (la sexualit� joyeuse s�articulant sur une conception d�senchant�e de la vie). La deuxi�me partie de l�ouvrage se fonde sur la chronologie pr�cise de la production maupassantienne, �clair�e par un tableau et le synopsis des recueils. On distingue deux cas de figure : les volumes compos�s de pr�publications rapproch�es dans le temps (premi�re �dition de Mademoiselle Fifi, La Petite Roque, Yvette) et ceux dont les pr�originales sont �tal�es sur une longue p�riode (avec plusieurs cas de figure selon la dur�e : d�un an � cinq). L�approche g�n�tique va permettre de comprendre comment Maupassant choisit les nouvelles qu�il r�unit. La Petite Roque, dont Emmanu�le Grandadam analyse tr�s finement la sp�cificit� par rapport � d�autres recueils, trouve son unit� gr�ce au th�me des d�sordres de la pulsion amoureuse, qu�il s�agisse de trag�die, de petits drames du d�sir, ou de d�sir insatisfait, le m�lange des tons ajoutant � la confusion pour donner l�image d�un monde sens dessus dessous. Elle laisse ouverte la question de savoir si Maupassant a pr�vu avant ou en cours d��criture la coh�rence du recueil ou s�il s�agit d�une d�marche inconsciente. A la diff�rence de La Petite Roque, Mademoiselle Fifi �limine certains textes contemporains, pour rassembler des portraits de femmes en mettant en place un des futurs th�mes majeurs de l��uvre : la r�versibilit� de tout, ainsi qu�une interrogation sur le f�minin. Les modifications apport�es aux textes publi�s au pr�alable dans les journaux confirment la recherche d�une coh�rence. Ensuite la prise en compte conjointe des � tripl�s �, � savoir trois recueils contemporains singuliers, (Mademoiselle Fifi (deuxi�me �dition), Contes de la b�casse, Clair de lune), va d�gager l�originalit� de chaque volume. L�image de la femme y est diff�rente. Une lecture en miroir des nouvelles de Mademoiselle Fifi r�v�le que le discours misogyne est en fait attribu� � des narrateurs suspects. Les Contes de la b�casse tirent leur sp�cificit� d�une tonalit� qui leur est propre, le rire cruel. Clair de lune se caract�rise par la figure narrative du retournement dont la typologie est dress�e, et qui porte un message diff�rent : de l�homme peut jaillir le meilleur comme le pire. Quant aux recueils comportant des �carts chronologiques entre les nouvelles, recueils � grand �cart �, ou comportant des textes sans pr�originales, ou �ditions augment�es, tous doivent aux ajouts ou aux compl�ments une coh�rence th�matique renforc�e : ils confirment le souci d�organisation de leur auteur. La troisi�me partie choisit un autre angle d�attaque. D�gag� de son histoire, le recueil est d�sormais interrog� tel qu�il se donne � lire. La d�monstration concerne la construction du sens cr�� par les ph�nom�nes de microcomposition analys�s dans le d�tail (r�cits qui d�tonent par rapport � l�ensemble, regroupements th�matiques significatifs, p ar exemple la justice ou la prostitution, couple antith�tique de nouvelles, isolement et place du texte fantastique). L�interrogation porte ensuite sur le titre des recueils. Bouleversant une habitude fran�aise, Maupassant choisit le plus souvent de donner pour titre au recueil celui de la nouvelle d�ouverture. Emmanu�le Grandadam passe alors en revue les diff�rentes explications habituelles de ce proc�d� : affirmation d�une fausse unit�, app�t pour le lecteur, ou enseigne esth�tique, mise en relief du texte le plus long. Mais l��tude de Miss Harriet et de L�Inutile beaut�, qui s��cartent de ce dernier proc�d�, r�v�le le bien fond� du choix de la nouvelle initiale, v�ritable m�tonyme de l�ensemble, qu�elle annonce le th�me dominant de la tendresse ou une nouvelle image de l�homme et de la femme. A propos de Toine et du Horla est d�velopp�e la question des modalit�s d�ouverture mais aussi de fermeture du recueil. Si le premier (� dominante euphorique et comique) est le n�gatif du second (� dominante tr�s sombre), tous deux t�moignent du principe de bipolarit�, les contes-cadre indiquant la tonalit� majoritaire, nuanc�e par quelques r�cits contrast�s. La derni�re analyse porte sur le rapport qu�entretiennent les titres des recueils � omnibus � avec le contenu des r�cits. Les Contes du jour et de la nuit, loin d��tre un fourre-tout, portent en fait un titre ironique, la vision tragique l�emportant sur l��quilibre annonc�, bien que par ailleurs le texte liminaire (Le Crime au p�re Boniface) invite � une lecture distanci�e. La Main Gauche, au-del� de la th�matique facile des amours ill�gitimes, interroge la relation � l�Autre. Ainsi, on l�aura compris, le grand m�rite de l�ouvrage d�Emmanu�le Grandadam consiste d�abord � se d�gager des id�es re�ues concernant les recueils de nouvelles. Ses investigations, d�une grande pr�cision et d�une grande rigueur, sont men�es sur plusieurs fronts, historique, narratologique, th�matique. Pour rendre compte de la complexit� d�une �uvre mouvante, elle a su multiplier et varier les approches, sans perdre de vue l�essentiel : chaque fois d�montrer, selon un angle d�attaque diff�rent, que Maupassant ne laissait rien au hasard. Ce faisant, elle parvient � revisiter une �uvre consid�rable en d�gageant quelques grands principes (esth�tique du contraste, ph�nom�nes de microcomposition), sans jamais forcer les textes dans un souci de synth�se. Une attention tr�s fine aux d�tails des nouvelles lui permet en effet de r�interpr�ter l�univers du nouvelliste pour le plus grand plaisir du lecteur invit� � une lecture � en miroir � extr�mement stimulante. Jo�lle Bonnin-Ponnier |