Paul Gorceix, Georges Rodenbach (1855-1898), Paris, Champion, � Romantisme et modernit�s �, 2006, 273 pages. Prolongeant les nombreuses �tudes que Paul Gorceix a consacr�es depuis 1981 � Rodenbach, l�ouvrage se pr�sente � la fois comme une biographie et comme une analyse chronologique des �uvres de l�auteur. Flamand francophone, Rodenbach v�cut plusieurs ann�es � Paris (o� il mourut), collabora � des journaux parisiens (le Gaulois, le Figaro notamment), fr�quenta de nombreux artistes fran�ais, Copp�e, les Goncourt, Daudet, Rodin, sans oublier Mallarm�, dont il fut un ami proche. C�est en France qu�il publia la majeure partie de ses textes son drame, Le Voile, fut la premi�re pi�ce d�un belge jou�e � la Com�die fran�aise en 1894. Aussi Rodenbach contribua-t-il de mani�re essentielle � faire conna�tre en France la litt�rature belge francophone. Paul Gorceix souligne � quel point cette reconnaissance de la Belgique �tait essentielle pour un auteur profond�ment amoureux de sa Flandre natale, cette � petite Patrie � � laquelle il consacre une part essentielle de son �uvre. Si Rodenbach, chantre de La Jeune Belgique au d�but des ann�es 1880, n�h�site pas � faire �uvre de d�nonciation, souligne le poids �crasant du catholicisme, s�en prend � la b�tise bourgeoise qui pr�tend construire un nouveau port � Bruges, quand le po�te voudrait faire de la ville un � tombeau de l�art �, une � reine de la Mort � vers laquelle affluerait en p�lerinage � l��lite de l�humanit� � (� Villes flamandes, Suppl�ment du Figaro, le 13 novembre 1894), il n�en est pas moins intimement attach� � la fois � la Flandre et au flamand dont il se fait un ardent d�fenseur. L�ouvrage de Paul Gorceix a le grand m�rite de souligner que l��uvre de Rodenbach, loin de n��tre compos�e que de vagues r�veries, s�inscrit aussi pleinement dans l�histoire contemporaine. Le Rodenbach qu�il pr�sente n�est pas seulement esth�te, mais aussi � homme d�action, acharn� et efficace, qui participe aux luttes de son pays, sociales, politiques et linguistiques m�me. � (p. 249) Sans doute �tait-il n�cessaire, en effet, de mettre l�accent sur cet aspect souvent m�connu. La part du symbolisme n�est pas pour autant n�glig�e. Le choix d�une pr�sentation chronologique des �uvres, suivant les �tapes de la biographie de l�auteur, permet de mettre en �vidence l��volution de la po�tique de Rodenbach. Paul Gorceix souligne la part d�exp�rimentation de l��uvre et insiste sur ses orientations successives, tant en termes esth�tiques (de la po�sie au conte, en passant par le th��tre ou le roman, mais aussi du vers des premiers recueils au vers libre de Miroir du ciel natal, en 1898) qu�en termes id�ologiques, de l�impr�gnation schopenhauerienne des premiers vers des Tristesses (1879) au mat�rialisme que sugg�re Le Rouet des brumes, recueil posthume de contes publi� en 1901, sans oublier l�id�alisme platonicien des Vies encloses de 1896, posant aussi, � l�occasion, la question de l�attachement de Rodenbach au catholicisme de son enfance. Il propose de lire dans ces variations un effet de l�extr�me sensibilit� du journaliste � l�actualit�, le reflet surtout de son souci de s�duire toujours son lectorat, sans le lasser. Peut-�tre est-il permis de trouver cette interpr�tation, r�currente pour rendre compte des m�tamorphoses de l��uvre, l�g�rement r�ductrice. Sensible � toutes les variations de mani�re, l�ouvrage de Paul Gorceix met surtout en �vidence l�unit� de l��uvre de Rodenbach par-del� la distinction des genres, po�sie, roman, th��tre ou conte. Soulignant la m�lancolie et la hantise de la mort qui habitent l��uvre tout enti�re, il montre comment Rodenbach fonde sa po�tique sur un syst�me de correspondances entre visible et invisible, mat�riel et spirituel, � �me des choses � et �me humaine. L��tude des romans, celle notamment de Bruges-la-Morte, permet d�analyser les diff�rents niveaux de lecture des textes (le roman serait �crit de mani�re � autoriser aussi bien une lecture � naturaliste �, qu�une approche � d�cadente � ou � symboliste �) et la mani�re dont s��tablissent les analogies entre la ville et l��me du personnage, cette correspondance entre le monde ambiant et le moi, le paysage et le paysage int�rieur apparaissant comme le fondement de l��criture de Rodenbach. Ce r�seau de correspondances, d�j� partiellement mis en place dans des textes ant�rieurs (L�Art en exil, 1889), sera repris sur un mode l�g�rement diff�rent dans Le Carillonneur, dernier grand roman de Rodenbach, expression tant de ses aspirations esth�tiques que de ses id�es sociales et politiques, puis dans les derniers textes encore, ces �tranges contes du Rouet des brumes qui mettent davantage l�accent pourtant sur la dimension pathologique du jeu des analogies, r�v�lateur d�une � inqui�tante �tranget� �. Il faut saluer ici l�extr�me finesse des interpr�tations Paul Gorceix propose une lecture d�une grande pr�cision, qui tout � la fois situe Rodenbach dans l�univers symboliste contemporain et met en �vidence l�originalit� d�une vision qui n�abandonne jamais la repr�sentation du r�el. Un seul regret : si la passion d�� actualiste � de Rodenbach est fr�quemment rappel�e, l�analyse de son �uvre critique reste tr�s en retrait par rapport � celle des romans et po�mes et de l��uvre dramatique. Le contenu des articles est le plus souvent assez pr�cis�ment �voqu�, mais leur date de publication n�est que rarement rappel�e rien ou presque n�est dit de leur style et certains (l�article sur Villiers par exemple) sont abord�s de mani�re extr�mement rapide. Force est de reconna�tre pourtant que la relative d�ception du lecteur n�est gu�re que le fruit des attentes n�es de la lecture des pages exemplaires consacr�es � l��uvre romanesque et po�tique. Nul doute en tout �tat de cause que l�ouvrage ne r�ponde pleinement au souhait du biographe, d�sireux de restituer � Rodenbach sa place dans l�univers litt�raire et culturel des derni�res ann�es du XIXe si�cle. La bibliographie atteste l�int�r�t suscit� par Rodenbach depuis la fin des ann�es 1980 et ce n�est pas le moindre m�rite de l�ouvrage de Paul Gorceix que d�inviter g�n�reusement son lecteur � profiter de ses connaissances, en se faisant toujours l��cho des diverses interpr�tations critiques concernant telle ou telle �uvre. Aussi l�ouvrage de Paul Gorceix offre-t-il l�instrument le plus s�r pour aller � la d�couverte d�une �uvre tout enti�re vou�e � exprimer l�identit� de la Flandre, transfigur�e dans l�exploration de la � mouvance incessante de la vie int�rieure �. Marie-Fran�oise Melmoux-Montaubin |