Retour � la liste des comptes rendus

Alice Clark-Wehinger, William Shakespeare et G�rard de Nerval.

Alice Clark-Wehinger, William Shakespeare et G�rard de Nerval. Le th��tre romantique en crise, 1830-1848, Paris, L�Harmattan, coll. � Critiques litt�raires �, 2005, 295 p.

Le titre surprend le lecteur le mieux dispos� tant il brouille, d�embl�e, l�objet de cette �tude et, partant, l�horizon de sa r�ception. Une simple inversion de l�ordre des deux noms sous la forme G�rard de Nerval et William Shakespeare aurait �clair� le projet d�Alice Clark-Wehinger : suivre la r�f�rence � Shakespeare et saisir la constitution d�un mod�le esth�tique et dramaturgique shakespearien, �talon de tout jugement critique, au fil des feuilletons dramatiques publi�s par G�rard de Nerval dans L�Artiste ou dans La Presse. Le travail semblerait ainsi vouloir contribuer au renouveau des �tudes consacr�es � la critique dramatique au XIXsi�cle, � sa rh�torique comme � ses prises de position esth�tique, ressaisies � partir de la vie culturelle et sociale qu�alimente en retour le feuilletoniste. Le sous-titre de l�ouvrage, Le th��tre romantique en crise, annonce pourtant une ambition plus vaste : embrasser, � partir de la critique th��trale nervalienne, la production dramatique dite romantique � celle de � l��cole nouvelle � selon l�expression du temps. La structure de l�ouvrage, d�coup� en neuf chapitres, confirme cette vis�e g�n�rale et critique. Partant de l��tude de la � mode shakespearienne � � la fin de la Restauration, l�auteur se demande in fine si Shakespeare ne constitue pas un mod�le � r�volu � dans les ann�es 1840, au moment de la � r�action tragique � d�un Ponsard. � c�t� de chapitres centr�s sur la r�ception et l�imitation des � astuces dramatiques d�Outre-Manche � et du � jeu britannique � des acteurs, deux panoramas sont offerts, destin�s � ancrer ces influences dans la vie th��trale parisienne de la monarchie de Juillet : � le drame social � et � le drame musical � - deux expressions au demeurant ambigu�s et quelque peu r�ductrices.

L��tude comparatiste d�Alice Clark-Wehinger trouve sa pertinence, et gagne en assurance, lorsqu�elle aborde les probl�mes de traduction et d�adaptation du th��tre �lisab�thain, de Ducis aux Deschamps en passant par Dumas et Meurice, ou lorsqu�elle cerne le choc th��tral caus� par le � natural acting � comme par l�usage des � trappes anglaises � ou l�importation du � surnaturel shakespearien �. L�information, filtr�e par les articles de Nerval, est ici int�ressante (� d�faut d��tre de toute premi�re main), et les exemples mobilis�s sont probants (m�me si un retour aux ouvrages originaux cit�s par Nerval s�imposait, d�un point de vue m�thodologique). Malheureusement, la m�connaissance des institutions th��trales fran�aises, comme des r�pertoires parisiens des ann�es 1830-1840, emp�che l�auteur de mener � bien son entreprise. Celle-ci appara�t, dans ces conditions d�information pr�caire, assez t�m�raire. La confusion voire le contresens d�coulent r�guli�rement d�une incompr�hension des textes nervaliens cit�s, dont le contexte imm�diat �chappe au lecteur � na�f �. On n�aura pas ici la suffisance de relever ces erreurs ponctuelles mais r�currentes. Le jeu serait vain. On ne taira pas, n�anmoins, quelques r�serves de fond, prononc�es au nom d�exigences �l�mentaires de la recherche : l�effort de rigueur, l�attention aux travaux accomplis, tout simplement l��coute et l��change qui doivent tous nous guider dans nos travaux. On d�plorera ainsi l�absence, surprenante dans un ouvrage cautionn� par une collection appel�e � Critiques litt�raires �, des r�f�rences bibliographiques essentielles. Qu�une �tude de la r�ception de Shakespeare en France au XIXsi�cle ignore les travaux r�cents de Catherine Treilhou-Balaud�, entre autres, est d�rangeant. Qu�une enqu�te sur le th��tre romantique m�connaisse totalement les ouvrages ou les articles d�Anne Ubersfeld et Florence Naugrette, de Patrick Berthier et Sylvain Ledda, d�Herv� Lacombe et Jean-Claude Yon, est d�solant. Qu�un livre consacr� � Nerval ait omis de consulter la critique nervalienne est aberrant. Que la bibliographie d�un ouvrage publi� en 2005 ne cite que huit � ouvrages de r�f�rence � post�rieurs � 1980 sur quarante et un titres est consternant. Aussi ne saurait-on, sans pr�cautions pr�alables, mettre un tel ouvrage entre les mains de jeunes chercheurs. On le recommandera aux seuls lecteurs avertis, capables d�oublier les approximations et d��carter les erreurs pour glaner sans danger le meilleur de cet ouvrage in�gal, d�routant et frustrant.

Olivier Bara