Confessions d�un inverti-n�, pr�face d��mile Zola, suivies de Confidences et aveux d�un Parisien par Arthur W., �dition �tablie et pr�sent�e par Daniel Grojnowski, Jos� Corti, 2007, 248 p. L�ouvrage qui nous est donn� � lire par Daniel Grojnowski est composite. Il est form� de deux � t�moignages � de tr�s in�gale qualit� litt�raire. Chacun d�eux a une histoire. Le premier, les Confessions d�un inverti-n�, a pour point de d�part un manuscrit d�abord envoy� � Zola, en 1889, qui le confia ensuite au docteur Georges Saint-Paul, alias le docteur Laupts, en donnant � celui-ci l�autorisation de le reproduire dans les Archives d�anthropologie criminelle en 1894. L�histoire rebondit encore. Le docteur Laupts, deux ans plus tard, publia un ouvrage, Tares et poisons. Perversit� et perversions sexuelles, dans lequel il reprenait ces Confessions du jeune homosexuel italien. Zola avait �crit, pour l�occasion, une pr�face. L�histoire n��tait pas encore achev�e. Le jeune homme qui s��tait d�abord adress� au romancier comme un cas int�ressant m�ritant de devenir personnage, lut le livre de Laupts, s�y reconnut, et compl�ta ses Confessions, en faisant parvenir un manuscrit anonyme au m�decin qui avait d�couvert en lui un � document humain �. Parall�lement, le docteur Henri Legludic, qui avait lui aussi en r�serve un t�moignage, l�int�gra en 1896, dans ses Notes et observations de m�decine l�gale, sous le titre Confidences et aveux d�un Parisien par Arthur W. Une comtesse qui n�en �tait pas une, mais un travesti, y racontait ses tribulations, ses amours, ses prisons, tout en faisant �tat du malheur qui l�avait afflig� : la nature l�avait pourvu d�un attribut viril insuffisant. Daniel Grojnowski qui, avec la rigueur et l��rudition qu�on lui conna�t, pr�sente ces �crits disparates, analyse les discours � fin-de-si�cle � sur la perversion, dont il retrace par ailleurs la g�n�alogie. On le suit volontiers lorsqu�il se r�f�re � Poe, � Baudelaire ou � Huysmans et plus largement aux �crivains d�cadents pour analyser le battement s�mantique perversit�-perversion, avec tous les effets id�ologiques qu�il contient, soit que la perversion r�sulte d�une d�naturation soit qu�elle soit consubstantielle, essentielle � l�individu et peut-�tre � une esth�tique. On le suit �galement lorsqu�il souligne que l�int�r�t des m�decins pour les � aberrations � implique souvent la transformation du pervers en victime. Celui-ci cesse d��tre un � maudit � pour devenir un malade. Mais on ne souscrit pas enti�rement � ce qui ressortit parfois, dans cet avant-propos, � une sorte d�anti-foucaldisme rapide. � On juge avec s�v�rit�, d�clare Daniel Grojnowski, un savoir assujetti aux institutions de surveillance ou de r�pression [�], il n�en pr�pare pas moins la formation de la psychologie, de la psychiatrie, de la psychanalyse [�] �. C�est vite dit ou trop g�n�ral. Le discours sur les d�g�n�rescences, au sein m�me de la psychiatrie fran�aise, discours dont on s�est r�clam� y compris pour expliquer la parano�a, a pr�cis�ment fait obstacle, dans les premi�res ann�es du vingti�me, si�cle � la psychanalyse. Il ne faut pas penser en termes de continuit� l� o� les ruptures sont �videntes. Peut-on, en outre, estimer que la litt�rature m�dicale, pr�cis�ment parce qu�elle autorise les t�moignages, qu�elle les appelle, comme le fait �galement la fiction, incite le perverti � �crire ? On peut le croire, sans qu�il faille pour autant songer � une sorte d�automaticit� m�canique. L�enqu�te du docteur Laupts a peut-�tre provoqu� des r�ponses, des discussions. Elle a peut-�tre conduit des �crivains � publier des fictions homosexuelles et p�d�rastiques comme L��lu d�Achille Essebac et surtout Escal Vigor de Georges Eekhoud, mais il faut surtout penser que les t�moignages sont eux-m�mes fictionnalis�s. Si les romanciers, comme le rappelle Daniel Grojnowski, regardent du c�t� de l�anthropologie et de la clinique, si les m�decins, comme le docteur Laupts lui-m�me, �crivent des romans, les t�moignages � et l�on e�t voulu que ce soit dit avec plus de vigueur � empruntent � leur tour � la fiction. C�est ce circuit qui est passionnant dans les m�andres et les replis qui sont les siens. Les Confidences d�Arthur W. commencent de la mani�re la plus � litt�raire � qui soit. Le premier chapitre pr�sente une c�l�brit� des boulevards. Le deuxi�me chapitre est r�trospectif. On quitte � la comtesse � pour retrouver l�enfant qu�il fut, dans une d�marche qui est certes romanesque, mais qui pourrait �tre m�dicale. Toute clinique r�ve d�un retour au commencement, comme nombre de romans r�alistes qui s�enfoncent dans l��paisseur des retours en arri�re. La suite des Confidences d�Arthur W. ? Un r�cit feuilletonesque avec changements de tableaux, et des physiologies des divers types d�invertis. Quant aux Confessions d�un inverti-n�, elles impliquent un jeu avec les codes m�dicaux et litt�raires, mais bien plus sophistiqu�. Vous voulez un document, je vous le donne, semble d�clarer l�auteur anonyme du manuscrit ; je satisfais votre d�sir de science, et je le d�joue par exc�s. Je suis homosexuel, et je suis demi-juif, donc un parfait d�g�n�r�. Voyez combien je rentre dans vos cat�gories m�dicales ! Mais je suis aussi lettr�, et je peux d�calquer � rebours les go�ts floraux de des Esseintes, je peux m�me d�fier le romancier naturaliste c�l�bre � qui je m�adresse, le g�n�reux et compr�hensif Zola, en lui disant combien j�aime Mademoiselle de Maupin, dont la pr�face exalte l�art pour l�art. Mieux, je suis publi�, par le truchement du document fictionnalis� que je donne � lire en manuscrit, et celui-ci vient concurrencer un topos du XIXe si�cle, la correspondance traditionnelle de l��crivain et de la jeune inconnue, plus ou moins ing�nue. Pervers, je m�avance vers le romancier qui se veut clinicien de la d�g�n�rescence, en m�offrant g�n�reusement comme un personnage de roman. Et comme si cela ne suffisait pas, j��cris bien, tr�s bien, somptueusement, mes fantasmes, dans une belle langue. Et c�est l� que l�expression � �crit de t�moignage � fait probl�me. Ni Arthur W., ni l�auteur anonyme des Confessionsne t�moignent autrement que par le truchement de la fiction. Avec un talent admirable pour le second, avec un pi�tre talent pour le premier. Et tous deux nous conduisent � nous interroger sur la na�vet� (ou la roublardise) des m�decins qui, il est vrai, encore � la fin du XIXe si�cle, ne font pas toujours la diff�rence, dans les exemples cliniques qu�ils convoquent, entre fiction et t�moignages cliniques. On aurait donc souhait� que Daniel Grojnowski s�int�ress�t un peu plus � l�aspect litt�raire de ces t�moignages, qu�il f�t davantage sensible � la beaut� des Confessions d�un inverti-n�, que nous lisons, pour ce qui nous concerne, comme un roman et dans lequel nous d�couvrons une sorte de jeu litt�raire, un d�fi volontaire. On se f�licite, toutefois, que ces textes aient �t� �dit�s, qu�ils aient �t� accompagn�s de pr�sentations savantes. Elles ne leur ont pas �t� un myst�re qui tient � l�interf�rence du m�dical, de l�existentiel, et de la fiction mod�lisante qui les informe. Cette �nigme fait en partie leur prix. Jean-Louis Caban�s |