Un maté rialisme balzacien  ?

É quipe Litté rature et civilisation du XIXe siè cle

Université Paris Diderot – Paris 7

Sé minaire Balzac

Responsables José -Luis Diaz et Nicole Mozet

Anné e universitaire 2007-2008

Paris Diderot – Paris 7

Site des Grands Moulins, 7eé tage

Salle 789 C

5-7, rue Thomas Mann,

75013- Paris

 

La nouveauté esthé tique et politique du roman balzacien passe, dit-on le plus souvent, par la radicalisation d’une repré sentation «   ré aliste  » du monde. Avec Balzac, le romanesque (matiè re et contenu, substance, sinon forme) s’inscrit dans un quotidien et dans une trivialité des conditions de vie  : romanesque de l’argent, des villes, de la province, des maisons, et non plus romanesque des pirates ou des î les indiennes. À charge pour «   l’artiste  » de savoir voir, et faire voir, la poé sie de cet ordinaire.

Sur ce point pourtant, Balzac s’inscrit dans la continuité du XVIIIe siè cle «   des Lumiè res  » , une continuité qui correspond à l’é volution de la question du maté rialisme dans la pensé e de la repré sentation et des mises en discours.

Ré fé rence (et ré fé rent) dix-huitié miste par excellence (D’Holbach, Diderot, etc.), le maté rialisme fut associé à la libre pensé e des savants et des encyclopé distes qui opposè rent le dé terminisme des contingences concrè tes et physiques à la mé taphysique idé aliste, et en particulier religieuse. Le postulat maté rialiste introduit l’idé e d’une multiplicité des causalité s, non ré ductibles à un principe transcendant  : celles-ci sont physiques, sociales, historiques, linguistiques, etc.

Le XIXe siè cle, dans son é lan libé ral, ne cessa d’approfondir cette pensé e, et tenta d’é viter le dualisme sté rilisant de la matiè re et de l’esprit. En 1800, par exemple, Germaine de Staë l rappelle que «   la litté rature  » est un discours, parmi bien d’autres discours, soumis à des obligations, des censures, à tout un contexte politique qui conditionne irré ductiblement l’é nonciation  : elle n’est pas douteuse expression d’un gé nie immanent. Et le progrè s est sa marque, n’en dé plaise aux ré actionnaires. Bientô t, le maté rialisme se fait positivisme, durcissant sa repré sentation des principes et des causes.

Toute l’œuvre de Balzac est porté e par cette interrogation «   maté rialiste  » du monde, qui doit (à partir de 1831  ?) é quilibrer la pensé e du religieux, sinon de la religion, en dé pit de la dé claration militante de l’«   Avant-propos  » , sur certaines «   Vé rité s é ternelles[1]  » . Une de ses plus belles ré alisations est sans doute la confrontation de Balthazar Claë s à sa femme José phine, dans La Recherche de l’Absolu  : «   […] j’ai dé duit l’existence de l’Absolu  ! Une substance commune à toutes les cré ations, modifié e par une force unique, telle est la position nette et claire du problè me offert par l’Absolu et qui m’a semblé cherchable. Là vous rencontrerez le mysté rieux Ternaire, devant lequel s’est, de tout temps, agenouillé e l’Humanité   : la matiè re premiè re, le moyen, le ré sultat. Vous trouverez ce terrible nombre Trois en toute chose humaine, il domine les religions, les sciences et les lois. […] –  Assez, Balthazar  tu m’é pouvantes, tu commets des sacrilè ges. Quoi  ! mon amour serait…   De la matiè re é thé ré e qui se dé gage […], et qui sans doute est le mot de l’Absolu. […]  Maudite Science, maudit dé mon  ! tu oublies, Claë s, que tu commets le pé ché d’orgueil dont fut coupable Satan. Tu entreprends sur Dieu  » (X, 717-720)[2]. La fiction scientifique de Balzac[3], porté e par la double tentation de l’ironie et de l’athé isme pour illustrer la dialectique de la foi et du savoir, doit se lire comme une fable de la modernité , travaillé e par des impossibilité s, des blocages, des contradictions dont les disparates et les heurts font sens et valeur.

D’autres pistes de ré flexion, plus pré cises, restent à é tudier  :

  • Le discours de Balzac sur les thé ories (philosophiques) maté rialistes, ses ré fé rences, ses connaissances.

  • Le romanesque maté rialiste balzacien  : argent, conditions de vie, espaces urbains, etc. De la thé matique narrative à la pensé e du contemporain  : une dramatisation de la repré sentation.

  • Maté rialisme vs spiritualisme dans l’œuvre de Balzac – voir La Messe de l’athé e.

  • Positivisme de la connaissance vs occulte et surnaturel – voir Ursule Mirouë t.

  • Ironie maté rialiste vs sé rieux d’acceptation – voir Le Lys dans la vallé e.

  • Poé sie du maté rialisme.

  • Lectures maté rialistes de Balzac  : le rô le du marxisme  le marxisme revu par les anné es 1960  la mé fiance envers les é tudes formelles et le primat du contenu[4].

L’importance de la notion de «   repré sentation[5]  » , comme pensé e des mises en discours configuratifs, pour cerner la ré fé rence du maté rialisme, implique un effort attentif à tous les phé nomè nes d’é nonciation, comme inscription du sujet dans le texte. La question n’est donc non pas tant, par exemple, «   qu’est-ce que le maté rialisme pour Balzac  ?  » , mais plutô t «   d’où parle-t-on de maté rialisme chez Balzac  ? qui en parle  ? qu’en dit-on  ? et comment en parle-t-on  ?  » . C’est à cet é gard, par cette importance accordé e à l’é nonciation balzacienne, que la Journé e de 2008 s’inscrira fidè lement et logiquement dans la continuité des travaux du girb. Aprè s un travail autour de la question du style (1997), pré cisé ment repensé e parce que repensable par le dé tour des discours, puis de l’Histoire et des sciences humaines (1999, 2003) et de la pensé e (2000), aprè s l’examen des modalisations ironiques, dans leur diversité (2002), le girb revient, en 2006, à un travail de fond sur le chantier politique, qui trouve en cette é tude du maté rialisme en approfondissement souhaitable. Un travail futur pourrait penser le parallè le avec la question du religieux.

Pour dé passer le seuil du dé cisif mais fort ambigu «   Avant-propos  » et essayer de dialoguer autour d’un sujet aussi large, nous pensons qu’il serait souhaitable que la ré flexion se resserre autour d’un corpus commun. Par exemple  :

Discours sur l’immortalité de l’â me (env. 1820), La Danse des pierres (9 dé c. 1830), L’Archevê que (3 nov. 1830), La Mort de ma tante (16 dé c. 1830), Les Deux Rê ves (mai 1830), Le Ré quisitionnaire (1831), Louis Lambert (1832), Le Mé decin de campagne (1833), Le Succube (1833), Eugé nie Grandet (1833), Sé raphî ta (1834), Le Prê tre catholique (1833-1834), La Recherche de l’Absolu (1834), Melmoth ré concilié (1835), Le Livre mystique (1835), Le Lys dans la vallé e (1835-1836), La Messe de l’athé e (1836), L’Interdiction (1836), Ecce homo (1836), Le Secret des Ruggieri (1836-1837), Bé atrix (1839), Le Curé de village (1839-1841), Ursule Mirouë t (1841), Madame de La Chanterie (1843), L’Initié (é crit à Wierzchownia en 1847).

La liste n’est pas exhaustive, mais elle peut constituer un corpus de base. En tout cas, les monographies doivent ê tre é vité es, puisqu’il s’agit justement de chercher les é volutions, de traquer les contradictions et de tenter un panorama des é noncé s et des é nonciations (ne pas oublier l’é dition en ligne du Furne ni la Concordance de K.  Kiriu). Nous pensons é galement qu’il vaudrait mieux renoncer aux exposé s trop gé né raux (sur les rapports de Balzac aux philosophes de son temps, par exemple), surtout dans le cadre d’une Journé e d’é tude. Il faudra donc tenter de combiner des lectures de textes pré cises et des interpré tations visant des synthè ses.

Nous pré voyons une Journé e pour le colloque proprement dit, auquel s’ajouteront des communications é crites et des interventions dans le sé minaire Balzac de Paris  7. Cet ensemble pourrait s’articuler autour de deux grands axes  :

Introduction  : La pensé e dialectique de la question  ? maté rialisme/spiritualisme.

I. Balzac penseur de la causalité (le doute)  : l’argent comme principe de causalité vs Dieu, autre principe de causalité   le temps comme idé e maté rialiste (effets de rupture, sé ries, etc.) vs le hasard.

II. Balzac et le surnaturel  l’occulte.

É ric Bordas

Jacques-David Ebguy

Nicole Mozet

[1]. Voir N.  Froger-Silva, «   Entre mysticisme et maté rialisme  : Maî tre Corné lius ou les dangers du dogme  » , AB 1993, pp. 211-228.

[2]. À rapprocher du passage de la pré face d’Histoire des Treize sur «   l’incognito du gé nie  » (V, 788)  : «   É crire l’Itiné raire de Paris à Jé rusalem, c’est prendre sa part dans la gloire humaine d’un siè cle  mais doter son pays d’un Homè re, n’est-ce pas usurper sur Dieu  ?  » (ibid.). D’où il ressort que Chateaubriand, à la diffé rence de Balzac, n’est pas Homè re…

[3]. Voir M.  Ambriè re, «   Balzac homme de science(s) dans La Recherche de l’Absolu  » , in M.  Ambriè re, Au soleil du romantisme, Paris, puf, 1998, pp.  249-258.

[4]. «   La dialectique maté rialiste confè re expressé ment le primat au contenu. La primauté du contenu sur la forme n’est d’ailleurs qu’une dé finition du maté -rialisme…  » , H.  Lefè vre, Le Maté rialisme dialectique, Paris, puf, 1971, p.  97 – voir la ré ponse d’H.  Meschonnic, Pour la poé tique II, Paris, Gallimard, 1973, p.  30, et sa proposition d’un «   monisme maté rialiste  » , ibid., p.  42.

[5]. Voir Romantisme, n° 110 (M.  Riot-Sarcey, é d.), Paris, 2000.

 

Programme

  • 19 Octobre 2007 (14 h)

  • Introduction gé né rale

  • Alain SANDRIER  : la question maté rialiste au tournant du XVIIIe et du XIXe siè cle
  • Jacques-David EBGUY  : «   Balzac, un romancier maté rialiste  ?  »
  • 1er fé vrier 2008 (14 h)

  • Le roman et l’argent comme ré alité maté rielle : -Alexandre PERAUD  : sur Balzac et l’argent

  • Christophe REFFAIT (spé cialiste de Zola)  : «   Ce qu'on appelle notre siè cle d'argent : de Balzac à Zola  » (En synergie avec le colloque organisé par le Groupe international de recherches sandiennes sur «   Sand et l’Argent  »
  • 4 avril 2008 (14 h)

  • La question politique : Franç oise MELONIO  : sur les rapports entre politique, dé mocratie et maté rialisme au XIXe siè cle